Dysgraphie : à la recherche de la zone de l'écriture

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Depuis les travaux précurseurs d'Exner au XIXe siècle sur des patients atteints de lésions cérébrales, on présumait que le geste d'écriture mettait en jeu une zone spécialisée du cerveau. Le seul moyen d'exploration disponible à l'époque consistait à effectuer l'autopsie de personnes ayant souffert de dysgraphie sévère ou d'agraphie.

Aujourd'hui, une équipe de l'INSERM (Unité 825 "Imagerie cérébrale et handicaps neurologiques») a complété cette exploration, en utilisant les techniques modernes des neurosciences et a nettement amélioré notre compréhension d'une région cérébrale impliquée dans l'écriture cursive, et donc dans la dysgraphie. Ces travaux sont publiés en ligne dans la revue Annals of Neurology.
       
Contrairement au langage oral, le geste d'écriture, invention récente de l'humanité, ne s'automatise qu'à la suite d'une longue période d'apprentissage. Les zones du cerveau impliquées dans le geste d'écriture ne sont donc pas naturellement prévues pour cette fonction, mais se spécialisent au cours de l'apprentissage.

La zone du cerveau qui permet de tracer des lettres est minuscule : elle ne mesure que quelques  millimètres carré. Pour la définir précisément, les chercheurs de l'INSERM ont fait appel à deux techniques très différentes : La première méthode consiste comme à l'époque d'Exner à regarder les conséquences d'une inactivation d'une région précise du cerveau. La différence par rapport au XIXieme siècle, c'est qu'il n'est plus nécessaire d'étudier les conséquences de lésions cérébrales réelles. On peut désormais étudier l'inactivation temporaire d'une micro-région du cerveau,  inactivation induite par une électrode. Le grand avantage est que le patient peut écrire pendant l’expérience. L'équipe de recherche a profité d'opération neurochirurgicales (qui étaient prévues pour retirer des tumeurs bénignes) pour demander à des patients (volontaires, ouf!) de participer à ce travail d'exploration du cerveau.

La stimulation électrique permet de désactiver de très petites parties du cortex. Les patients, éveillés au cours de cette phase de l'intervention, effectuent des exercices d'écriture cursive, spontanés ou sous la dictée. Une fois que la stimulation électrique désactive une certaine zone précise, le patient, tout en étant encore capable de lire ou de déplacer sa main, est tout à fait incapable de produire un message écrit intelligible.

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A gauche : zones activées en IRM lors d’un exercice de dictée, cerclées en blanc la zone spécifique de la transformation du code orthographique en représentation motrice des lettres. A droite : l’exercice éveillé, les points bleus correspondent aux zones bloquant cette transcription. La position moyenne de ces points correspond à la zone révélée en IRM. © Inserm, JF Demonet
La seconde méthode consiste à effectuer l'imagerie fonctionnelle du cerveau pendant des exercices d'écriture. L'Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle, permet de visualiser l’afflux sanguin dans chaque région du cerveau et donc de voir en temps réel les zones actives du cerveau. L'expérience (en effectuant la comparaison entre des zones activées au cours de différents exercices) permet de définir, statistiquement, l’existence d’une zone responsable de la production écrite de mots.

En croisant les résultats obtenus par ces deux méthodes l'équipe a montré qu'une petite zone dans le cortex frontal gauche est essentielle pour la production de mots écrits. Cette zone permet de transformer l’information orthographique (quelles lettres constituent le mot), en information grapho-motrices (quels mouvements exécuter pour tracer les lettres).

L’équipe de Jean-François Démonet a su localiser dans le cerveau cette région reliant l’information orthographique aux gestes d’écriture. Ce travail est un premier pas vers la compréhension des troubles de l’écriture dans des pathologies aussi diverses que la maladie de Parkinson, l’aphasie vasculaire ou les dysgraphies.

Pour aller plus loin :
Franck-Emmanuel Roux , Olivier Dufor , Carlo Giussani , Yannick Wamain , Louisa Draper , Marieke Longcamp , Jean-François Démonet



    L'aire d'exner a été cité pour la première fois dans : S. Exner: Untersuchungen über die Localisation der Functionen in der Grosshirnrinde des Menschen. Vienna, W. Braumuller, 1881.
    dysgraphie exner
    L'aire d'Exner en 1881