Beaucoup de parents me confient, catastrophés, que leur enfant n'écoute rien et ne retient rien des apprentissages, en particulier dès que ça se passe à l'école. À la maison, la dictée est sue et réussie, en classe, c'est la catastrophe.
L'apprentissage de la lecture peut aussi être extrêmement compliqué, l'enfant ayant tendance à oublier au fur et à mesure tout ce qu'il a appris la veille.
À ce sujet (entre autres) , je suis tombé sur l'excellent ouvrage d'Elisabeth Nuyts Dyslexie, dyscalculie, dysorthographie, préventions et remèdes. Sa théorie m'ayant semblé pour le moins surprenante, j'ai souhaité en savoir plus. J'ai donc rencontré l'auteur, qui m'a expliqué pourquoi selon elle certains enfants n'écoutent pas ou ne retiennent rien. Encore plus fort, elle explique ce que nous pouvons faire pour y remédier. Disons-le tout net, j'ai été convaincue tout autant par ses arguments que par mon expérience avec les enfants que j'accompagne à la suite de l'application de ses conseils. Evidemment, ça ne marchera pas pour tous les enfants, mais cela vaut la peine de se pencher sur la question, car le nombre de petits Français concernés par les comptines est astronomique.
Voici en quelques mots que Elisabeth Nuyts a découvert.
Qu'est ce qu'une comptine de fermeture ?
En classe, ou pire, en crèche, on utilise parfois des comptines bien particulières qui ont pour objectif de rendre l'enfant plus calme, plus docile. Peut-être connaissez-vous la plus connue, pour l'avoir récitée vous aussi dans vos toutes jeunes années? La comptine commence comme ceci : Je fais le tour de ma maison (l'enfant fait le tour de son visage avec l'index), je ferme mes volets (l'enfant mime le geste de fermer ses oreilles), je ferme mes fenêtres (l'enfant ferme les yeux) , je descends l'escalier (le doigt suit le nez jusqu'à la bouche), et je fais cric crac ( l'enfant mime en général la clé qui tourne dans la serrure devant sa bouche, pour fermer la porte). Il est à noter que la fin varie souvent : la clé est parfois avalée, parfois jetée par dessus l'épaule. Certains enfants miment même le geste de se coudre la bouche.
Après ce genre d'activité, la bouche étant close, l'enfant ne parle plus et est bien plus docile, c'est d'ailleurs pourquoi la comptine est toujours utilisée dans les écoles et les crèches. Elle est efficace.
Pourquoi les comptines de fermeture sont-elles une catastrophe?
Je ne vois pas le problème, allez-vous me dire. Ce n'est qu'une petite comptine anodine, non?
Croire cela est une grave erreur. Les enseignants constatent que ce type de comptine a un effet réel sur les enfants dans leur classe, sinon ils ne les utiliseraient pas. Mais que se passe-t-il donc à long terme dans l'esprit jeune et malléable du petit enfant? On lui impose de "fermer" ses oreilles ( il n'entend plus), de "fermer" ses yeux ( il ne voit plus), et de "fermer" sa parole ( Il n'utilise plus sa petite voix intérieure, ni n'exprime ce qu'il ressent). Comment voulez-vous qu'il apprenne et retienne quoi que ce soit dans ces conditions? Il voit sans regarder, il entend sans écouter, il parle sans comprendre...
Pourquoi le petit enfant est-il si sensible aux comptines de fermeture?
Durant l'enfance, et particulièrement la petite enfance, lorsque le langage et la personnalité n'ont pas encore atteint leur maturité, les interdits et contraintes sociales sont intégrés très profondément, par le corps. L'exemple le plus frappant est celui de la propreté. Une fois acquise, la propreté n'est plus une question de volonté, elle est automatique. Nous devenons "propres", de nuit comme de jour. Il nous est inconcevable, et même tout bonnement impossible, de faire sur nous volontairement. Avez-vous déjà été cloué au lit au point de devoir faire vos besoins dans un bassin? Si oui, vous comprenez certainement ce que je veux dire. On a beau avoir envie, il est très compliqué de réussir à nous soulager dans un lit, notre corps refuse de le faire et ne répond pas à notre intellect. Et notre cerveau n'y peut pas grand chose.
Imaginez l'effet de la comptine de fermeture sur l'esprit de l'enfant! Répétée de nombreuses fois, le corps intègre qu'il ne doit ni écouter, ni observer, ni parler ou penser. Les conséquences sur la scolarité de certains enfants (et la vie de famille... " il n'écoute rien ce gosse") sont dévastatrices.
Le remède : la comptine d'ouverture !
Elisabeth Nuyts, pour contrecarrer l'effet de la comptine de fermeture, a transformé celle-ci en une comptine d'ouverture. Simple comme bonjour, encore fallait-il y penser!
À chaque fois que la comptine de fermeture interdisait en fermant, la comptine d'ouverture autorise en ouvrant.
Je fais le tour de ma maison ( l'enfant fait le tour de son visage avec l'index), j'ouvre mes volets (l'enfant mime le geste d'ouvrir ses oreilles), j'ouvre mes fenêtres (l'enfant ouvre les yeux) , je descends l'escalier (le doigt suit le nez jusqu'à la bouche), et j'ouvre la porte (l'enfant mime le plus souvent la clé qui tourne dans la serrure pour ouvrir la porte ou coupe le fil qui avait cousu la bouche).
On peut ajouter ensuite quelques mots plus spécifiques aux difficultés de l'enfant, pour renforcer encore l'effet : j'ai le droit de dire ce que je vois/ ce que je ressens, à l'enfant mutique; j'ai le droit de faire ce qu'on me demande, je peux le faire, je vais le faire, à l'enfant qui n'ose pas participer aux activités, etc. Attention toutefois à ne pas tomber dans l'excès inverse. Si vous faites répéter " J'ai le droit de faire ce que je veux, je vais le faire, je peux le faire " vous risquez d'avoir une drôle de surprise...
Dernière phase, mais tout aussi importante : puisque l'enfant vient "d'ouvrir" ses oreilles, ses yeux et sa bouche, nous allons enfin lui demander de mettre en mots ce qu'il perçoit. "Qu'entends-tu? Que vois-tu? " Il est très important que l'enfant prenne conscience de ce que ses sens lui permettent de percevoir. C'est ce que nous l'aidons à faire en le faisant parler.
Dernière phase, mais tout aussi importante : puisque l'enfant vient "d'ouvrir" ses oreilles, ses yeux et sa bouche, nous allons enfin lui demander de mettre en mots ce qu'il perçoit. "Qu'entends-tu? Que vois-tu? " Il est très important que l'enfant prenne conscience de ce que ses sens lui permettent de percevoir. C'est ce que nous l'aidons à faire en le faisant parler.
Mon enfant est-il concerné par ce problème?
Comment savoir si votre enfant est concerné par ce problème de comptine de fermeture? C'est assez simple. Commencez la comptine sans instruction particulière et laissez à l'enfant le temps de mimer. S'il ferme la porte et jette la clé par dessus son épaule avant vous, ou râle car "la maîtresse, elle disait pas comme ça" vous serez fixés.
La comptine d'ouverture, quand? Comment? À quelle fréquence? Jusqu'à quel âge?
Tous les jours, pendant une durée suffisante (de quelques jours à plusieurs semaines) pour que le changement soit perceptible. Il est possible de le faire même à l'âge adulte. Plutôt le matin avant d'aller à l'école, ou le soir avant les devoirs.
Que risquez-vous à essayer?
Comptine transformée, avec illustration extraite de " Dans mon jardin tout rond", Ed Nathan |
Pour en savoir plus :
Lien direct vers le site d'Elisabeth Nuyts, ses publications et ses formations