La longévité des gauchers

Une mauvaise tenue de crayon, chez une gauchère
Il m'arrive de lire encore de temps à autre des articles affirmant que les gauchers meurent beaucoup plus jeunes que les droitiers. Si vous êtes gaucher, rassurez-vous, il y a de bonnes raisons de penser que c'est faux.

La plupart de ces articles font référence à une très sérieuse étude menée par deux scientifiques (Stanley COREN et Diane HALPERN), publiée dans la prestigieuse revue "Nature". 


Cette étude, basée sur divers recensements à travers le monde, démontrait que l’espérance de vie des gauchers était inférieure de 9 ans à celle des droitiers : 66 ans d’espérance de vie pour les gauchers contre 75 ans pour les droitier.

Deux ans après, les deux mêmes auteurs complètent leur publication dans le Bulletin de Psychologie :

Abstract

Life span studies have shown that the population percentage of left-handers diminishes steadily, so that they are drastically underrepresented in the oldest age groups. Data are reviewed that indicate that this population trend is due to the reduced longevity of left-handers. Some of the elevated risk for sinistrals is apparently due to environmental factors that elevate their accident susceptibility. Further evidence suggests that left-handedness may be a marker for birth stress related neuropathy, developmental delays and irregularities, and deficiencies in the immune system due to the intrauterine hormonal environment. Some statistical and physiological factors that may cause left-handedness to be selectively associated with earlier mortality are also presented.
Malgré les stricts critères de sélection des articles de la revue Nature, un biais méthodologique important était glissé dans l'étude initiale. En 1993, quatre ans après la publication dans Nature, Harris publiait dans le Psycholigical Bulletin une réfutation de cet article initial, qui affirmait... qu'on ne pouvait finalement pas conclure en faveur d'une moindre longévité des gauchers. Voici ce qu'il nous dit en résumé :

Des études transversales  de durée de vie montrent généralement des pourcentages décroissants de gauchers dans les groupes les plus âgés. Dans un article paru dans Psychological Bulletin, S. Coren et D. Halpern (1991) ont fait valoir que cette tendance  reflète une durée de vie plus courte des gauchers que les droitiers. Ils ont présenté deux études qu'ils considèrent être une preuve directe que les gauchers, en moyenne, meurent plus tôt que les droitiers. Ils ont également proposé une variété de raisons pour ce qu'ils appelaient "l'inadaptation des gauchers"
Je conteste les raisons invoqués par Coren et Halpern pour retenir une explication plus classique des données de durée de vie des gauchers. De nouvelles études dans lesquelles l'explication de la longévité a été testé par des moyens plus directs que celles qui ont été utilisées jusqu'à présent permettent de conclure que l'hypothèse "diminution de la survie par l'inadaptation des gauchers" ne peut être soutenue.

Ouf.

Mais alors quels sont les arguments avancés par les uns et les autres?

Tout part de cette courbe qui donne la proportion de gauchers dans la population en fonction de l'âge:


On voit que la proportion de gauchers diminue très fortement dans les classes d'âge des personnes nées avant les années 40. On pourrait en conclure que les gauchers meurent plus tôt que les droitiers, et donc disparaissent de ces groupes de populations plus âgées. C'est oublier un peu vite que l'attitude de la société vis à vis des gauchers a évolué : Dans la première moitié du vingtième siècle (et d'une certaine mesure jusqu'aux années 70) être gaucher était très mal vu. Dès leur plus jeune âge, les gauchers étaient contraints d’apprendre à se servir de la main droite comme les droitiers «naturels», d’où l’expression « gaucher contrarié». Ces personnes ont toujours eu tendance à se déclarer comme droitiers, ce qui introduit le creux chez les personnes âgées.

Pour les personnes nées dans la seconde moitié du 20ème siècle, le taux de gauchers déclarés est de l'ordre de 10 à 12% (avec un peu plus de garçons que de filles) et est relativement stable.

En consultation pour des rééducations de l'écriture, je vois statistiquement un peu plus de gauchers que dans la population générale. Mais également un certain nombre de "droitiers contrariés" qui pensent être gauchers, mais qui sont en fait plus habiles pour écrire de leur main droite. C'est pourquoi dès que j'ai un doute, je vérifie la latéralité.


Bibliographie :
  • Do right-handers live longer?    Halpern DF, Coren S Nature. 1988 May 19;333(6170):213.
  • Left-handedness: a marker for decreased survival fitness. Coren S, Halpern DF. Psychol Bull. 1991 Jan;109(1):90-106. 
  • Do left-handers die sooner than right-handers? Commentary on Coren and Halpern's (1991) "Left-handedness: a marker for decreased survival fitness".  Harris LJ  Psychol Bull. 1993 Sep;114(2):203-34; discussion 235-47.